Message clé
-
ATLANTIS est une étude randomisée contrôlée (RCT) par placebo parue dans le journal The Lancet. Cette étude a évalué l’efficacité de l’amitriptyline à faibles doses (10 à 30 mg par jour) en traitement de deuxième intention dans les soins de première ligne du syndrome de l’intestin irritable (SII).1
-
Après 6 mois, les résultats de l’étude montrent que l’amitriptyline à faibles doses aurait un impact légèrement positif sur les symptômes du SII. Son utilisation expose à de nombreux risques d’effets indésirables, généralement légers, principalement de nature anticholinergique.
-
Bien que cette étude ait été correctement menée et conçue, le bénéfice thérapeutique obtenu semble modeste par rapport au placebo et la pertinence clinique de l’effet de l’amitriptyline n’est pas claire.2,3
En quoi cette étude est-elle importante ?
-
Le SII est une pathologie chronique caractérisée par une douleur abdominale et des désordres intestinaux tels que des ballonnements, de la diarrhée et/ou de la constipation. Elle affecte la qualité de vie et les activités quotidiennes des personnes qui en souffrent. Les changements alimentaires et les traitements symptomatiques de première intention (contre la constipation/diarrhée et les crampes abdominales) ne sont souvent pas suffisants.
-
Le guideline du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) sur le SII recommande, sur base d’études menées en deuxième ligne, l’amitriptyline en traitement de deuxième intention chez les patients pour lesquels les mesures de première intention n’ont pas été efficaces (voir « protocole de l’étude »).4
-
Il s’agit de la première étude réalisée en soins de première ligne sur l’utilisation d’un antidépresseur tricyclique dans le traitement du SII.
-
La durée de 6 mois est plus longue que la plupart des autres études sur le SII.
Protocole de l’étude
-
ATLANTIS est une étude réalisée en double aveugle, randomisée et contrôlée par placebo.1
-
Cette étude a été financée par le National Institute for Health and Care Research et n’a donc pas été sponsorisée par l’industrie pharmaceutique.
-
463 participants adultes ont été enrôlés dans l’étude. Ces derniers souffraient d’un SII réfractaire aux traitements de première intention recommandés par le NICE (changements alimentaires, conseils sur le mode de vie, fibres solubles, spasmolytiques, laxatifs et antidiarrhéiques).
-
Au début de l’étude, les participants du groupe amitriptyline ont reçu 10 mg d’amitriptyline par jour. Ce dosage pouvait être majoré jusqu’à 20 mg ou 30 mg par jour en fonction de la tolérance et des symptômes ressentis par les participants.
-
Tous les participants ont reçu une fiche les guidant dans la gestion de ce dosage. Ils ont également tous reçu des conseils diététiques et un suivi téléphonique était assuré par une infirmière.
-
Les participants ont été inclus dans l’étude durant 6 mois. Ils ont eu la possibilité de poursuivre leur traitement pendant 6 mois supplémentaires mais en raison de la pandémie COVID-19, les bénéfices potentiels à 12 mois n’ont pas pu être explorés.
-
Le critère d’évaluation principal était l’amélioration des symptômes du SII mesurée par le score IBS-SSS (Irritable Bowel Syndrome Severity Scoring System) à 6 mois. Une diminution de 35 points (sur un score de 500) était prédéfini comme effet cliniquement pertinent. Voir « + plus d’infos ».
- Un score de 75 à 174 points indique des symptômes légers ;
- un score de 175 à 299 points indique des symptômes modérés ;
- un score de 300 à 500 points indique des symptômes sévères.
-
L’un des critères d’évaluation secondaires clé était l’évaluation du soulagement des symptômes à 6 mois mesurée par une évaluation subjective globale du soulagement (Subjective Global Assessment, SGA). Les répondants au traitement étaient considérés comme ceux ayant obtenu au moins « un certain soulagement de leurs symptômes ».
-
L’analyse des résultats a été réalisée en intention de traiter.
Résultats en bref
-
Au début de l’étude :
-
Les participants (âge moyen de 48 ans) avaient un score IBS-SSS moyen de 272,8 points. La majorité présentait un SII modéré (score de 175 à 299 points) à sévère (score de 300 à 500 points).
-
Plus de 80% d’entre eux présentaient un SII soit de sous-type « Diarrhée » ou « Mixte ».
-
Les participants étaient atteints du SII depuis 10 ans en moyenne.
-
-
A 6 mois :
-
73% des participants ont complété l’étude. 23% des participants totaux ont arrêté l’étude prématurément, principalement en raison d’effets indésirables (13% pour le groupe amitriptyline contre 9% pour le groupe placebo).
-
43% des participants du groupe amitriptyline ont augmenté leur dosage à 30 mg contre 57% pour le groupe placebo.
-
Critère d’évaluation primaire : le groupe sous amitritptyline a vu son score IBS-SSS diminuer (-27 points par rapport au placebo ; 95%IC : -46,9 à -7,1). La différence de 27 points est inférieure au seuil prédéfini de 35 points pour la pertinence clinique ; elle n’est donc pas cliniquement pertinente.
-
Critère d’évaluation secondaire : 61% du groupe amitriptyline ont rapporté un certain soulagement de leurs symptômes contre 45% du groupe placebo (OR=1,78; 95%IC : 1,19 à 2,66). Le NNT (Number Needed to Treat) calculé est de 6,3. Cela signifie que pour 6 à 7 patients traités pendant 6 mois, 1 seul avait ressenti un certain soulagement de ses symptômes.
-
-
En ce qui concerne l’innocuité de l’amitriptyline, les effets indésirables rapportés étaient plus fréquents dans le groupe amitriptyline et étaient essentiellement de nature anticholinergique (bouche sèche, somnolence, vision trouble et troubles urinaires). Voir « + d’infos ».
Cependant, la plupart des effets indésirables ont été considérés comme légers bien que 13% des participants aient mis fin à leur participation en raison d’effets indésirables.- Bouche sèche : 54% contre 37% pour le groupe placebo. Le NNH (Number Needed to Harm) calculé est de 5,8.
- Somnolence : 53% contre 34% pour le groupe placebo. Le NNH calculé est de 5,2.
- Vision trouble : 17% contre 9% pour le groupe placebo. Le NNH calculé est de 12,5.
- Troubles urinaires : 22% contre 13% pour le groupe placebo. Le NNH calculé est de 11,11.
Limites de l’étude
-
Plus de 80% des participants avaient un SII de sous-type « diarrhée » ou « mixte », ce qui limite la généralisation des résultats aux sous-types « constipation » ou « non classé ».
-
Dans la fiche reçue par les participants, la constipation était mentionnée comme un effet secondaire de l’amitriptyline. Cela a pu décourager les participants atteints du sous-type « constipation » de participer à l’étude.
-
L’effet a pu être amplifié dans les 2 groupes en raison du suivi structuré de l’étude (appels téléphoniques, conseils diététiques, etc.). L’effet observé du placebo chez les participants souffrant d’un SII depuis 10 ans en moyenne semble élevé. De fait, près de la moitié (45%) ont observé un soulagement de leurs symptômes sous placebo.
Commentaire du CBIP
-
L’amitriptyline à faibles doses a montré des résultats légèrement positifs par rapport au placebo dans la réduction des symptômes du SII chez des patients réfractaires aux traitements de première intention. L’amitriptyline à faibles doses pourrait donc être une option dans le traitement du SII réfractaire aux traitements de première intention. Cependant, la différence minimale cible dans la réduction du score IBS-SSS par rapport au placebo n’a pas été atteinte. La pertinence clinique de l’effet de l’amitriptyline n’est donc pas claire. De plus, le taux d’abandons de l’étude ainsi que l’effet placebo sont relativement élevés. Notre analyse rejoint celle de nos homologues de la revue Minerva : « Des recherches supplémentaires avec des analyses de sous-groupes et des analyses coût-efficacité sont nécessaires avant de mettre en œuvre ce traitement en médecine générale. »3
-
L’amitriptyline expose également à un risque de développer des effets indésirables anticholinergiques, comme d’autres médicaments utilisés dans le SII. Elle a semblé être bien tolérée chez la plupart des participants, mais ces derniers étaient jeunes (âge moyen de 48 ans). La majoration du dosage de l’amitriptyline augmente le risque de développer ces effets indésirables.
-
Le traitement du SII n’est pas repris dans les indications du RCP de l’amitriptyline (usage off-label). Pour plus d’informations sur les prescriptions off-label, voir le Folia de décembre 2021.
-
Le guideline du NICE recommande la prise d’un antidépresseur tricyclique lorsque les traitements de première intention n’ont pas été suffisamment efficaces.4 La posologie proposée est de 5 à 10 mg par jour d’amitriptyline en 1 prise le soir avec majoration possible de la dose jusqu’à 30 mg par jour.
-
En Belgique, l’amitriptyline est disponible sous forme de comprimés de 10 et 25 mg. Une prise de 5 mg par jour avec la spécialité à base d’amitriptyline n’est pas possible mais une préparation magistrale est faisable.
Noms des spécialités concernées :
-
Amitriptyline : Redomex® 10 et 25 mg (voir Répertoire).
Sources
1 Ford AC, Wright-Hughes A, Alderson SL et al.; ATLANTIS trialists. Amitriptyline at Low-Dose and Titrated for Irritable Bowel Syndrome as Second-Line Treatment in primary care (ATLANTIS): a randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet. 2023 Nov 11;402(10414):1773-1785. doi: 10.1016/S0140-6736(23)01523-4. Epub 2023 Oct 16. PMID: 37858323.
2 de Wit N and Keszthelyi. Comment: Low-dose amitriptyline in irritable bowel syndrome: ready for primary care? Lancet 2023;402:1727-8 (doi: 10.1016/S0140-6736(23)01725-7)
3 Samyn J, Lemmens O en Poelman T. Amitriptyline voor prikkelbaredarmsyndroom? Minerva. Published 19 march 2025. Cliquez ici.
4 Irritable bowel syndrome in adults: diagnosis and management Clinical guideline [CG61]. Nice. Published: 23 February 2008. Last updated: 04 April 2017.